Portes ouvertes et portes fermées

Jamais assez bien

J’ai cette espèce de colère contre moi-même, je m’en veux… Je ne fais jamais bien les choses, et lorsque j’essaye malgré tout, je ne fais jamais les choses assez bien. Aujourd’hui par exemple, je ne vais pas en cours mais je vais aller à mon job ; je n’ai pas assez de motivation pour sortir de chez moi pendant toute une journée. Et puis, croiser le regard de tous ces étudiants dont je peux deviner facilement d’infimes morceaux de leur vie seulement en les observant sourire, parler, marcher, c’est tout simplement trop pour moi. C’est trop éprouvant. Quand je sors dehors, je marche en fixant tour à tour le sol, le ciel, les bâtiments, mais jamais les gens, ou alors le moins longtemps possible. Cela fonctionne ensemble, je suppose ; moins j’arrive à me supporter, et moins j’arrive à tolérer les autres.
Il ne s’est pas passé une journée dans ce début de semaine où je n’ai pas bu d’alcool. Je ne suis pas assez forte pour m’en empêcher, mais en même temps, je ne suis pas assez détruite pour tomber dans l’alcoolisme. Je me répète, hein, et c’est ironique : je ne suis jamais assez ceci ou cela, je ne rentre dans aucune catégorie fixe.
Je regarde l’heure et je me dis que si je me dépêche, je peux encore courir et arriver à l’heure à la FAC pour mon cours. Et puis je secoue la tête et renonce. Si j’y vais, à quoi cela servira-t-il ? Un cours avec un prof dépressif qui ne fera que me rappeler mon propre désert intérieur, suivit d’un autre cours avec une prof qui me regarde de travers parce qu’elle sait pertinemment que j’en ai rien à faire de ce qu’elle raconte… à quoi cela me servirait-il d’assister à ça, de venir là m’entasser avec ces cinquante personnes dont la présence m’oppresse ? Non, je ne peux pas. Pas aujourd’hui. Peut-être demain, je pourrais. Je ne sais pas.
Je ne suis pas la fille studieuse que mon père voulait, je ne suis pas la fille aimante et attentionnée que ma mère voulait. Je ne suis ni l’amie bienveillante que voit W, ni l’amante idéale que voit D, et encore moins la confidente patiente que voit Mi.
J’écris beaucoup, en ce moment. J’écris des débuts de romans, de nouvelles, des poèmes, des chansons. J’écris à propos de tout, mais le plus souvent, je sens comme un écho qui m’appartient et qui surgit brusquement entre les lignes alors que j’avais tout fait pour m’éloigner de moi-même, ne voulant surtout pas contaminer mes écrits avec mon être si instable. Lors d’un dialogue que je venais d’écrire entre deux personnages, une réplique m’a interpellée et je n’ai cessé de la relire pendant un bon quart d’heure. "Je sais une chose : tu es en colère contre toi-même. Tu t’en veux de ne pas réussir à être celle qu’on attend que tu sois, celle que ton père voulait pour fille, celle qui fait des études jusqu’à un haut niveau, celle qui trouve sa place dans le monde et qui aime sa vie telle qu’elle est, celle dont on a pas arrêter de te montrer le spectre comme un idéal que tu devais atteindre en faisant chaque jour tant d’efforts… " J’ai écrit sans y penser… et le résultat est la preuve que mon mal-être est enraciné bien trop loin en moi.