Portes ouvertes et portes fermées

Le poids des souvenirs

Hier soir, essayant de m’endormir, les yeux rivés au plafond vide et sombre, je me suis surprise à faire exactement ce qu’il ne faut jamais faire quand on veut s’endormir. Réfléchir. Ma mère aime se prendre la tête, et elle le fait dès son réveil chaque matin. Elle dit que comme ça, elle se remet les idées en place pour bien démarrer la journée, elle se remémore ses objectifs, les petites choses plus ou moins inutiles qu’elle a à gérer… elle s’organise. L’organisation ; une qualité - et parfois un défaut affreux, surtout quand on panique - dont j’ai hérité.

Je voulais dormir mais au lieu de cela, je réfléchissais. Un souvenir. Le visage de mon père. Lui et moi dans la chambre que j’avais à l’âge de dix ans. Il sourit. Il n’y a aucune lumière dans la pièce, hormis la lampe de poche qu’il tient dans sa main. De son autre main, il fait des ombres chinoises sur le mur. Je rigole, je souris, je m’émerveille. Je lui demande de m’apprendre, j’essaye d’imiter les mouvements de ses mains avec mes petites mains à moi. Il sourit. Je ne vois pas son visage caché dans l’obscurité, mais je l’entend rire et je sais qu’il sourit autant que moi. Ces images, ces sensations, ces mots, tout cela m’est revenu en tête, soudainement, stoppant net ma réflexion. Un souvenir. Un fichu souvenir. Seulement un putain de souvenir.

Je voudrais les enlever, ces souvenirs. Les effacer, les oublier, trouver le moyen de faire cesser la tristesse et les regrets qui s’y rattachent. Je voudrais ne plus avoir de souvenirs, plus aucun, plus jamais. N’avoir qu’une mémoire utile, uniquement le souvenir des apprentissages. Par exemple, me souvenir qu’avouer ses sentiments à sa meilleure amie est une chose à ne pas faire. Mais ne pas me rappeler à quel point ça m’a fait mal quand d’abord elle s’est mise à rire, et qu’ensuite, elle s’est barrée en courant quand elle a compris que j’étais sérieuse.

Les souvenirs, c’est diaboliquement efficace. Tu ne veux pas éprouver de regrets ? Bam ! Un souvenir apparaît quand tu t’y attends le moins, et c’est grillé, tu regrettes. Tu veux faire comme si tu n’avais jamais connu telle personne ? Et bien non, ton cerveau s’en souvient et te le rappelle au moyen de rêves qui te torturent toutes les nuits.

Je vais partir, l’an prochain. Je ne sais pas encore où, quand exactement, comment, avec qui, pour quoi faire… mais je pars, c’est décidé. Et je n’ose même pas imaginer quels souvenirs viendront me hanter, à ce moment-là.