Portes ouvertes et portes fermées

"N'essaye même pas."

Des affaires, des papiers, quelques rendez-vous… le temps écrase tout ça et en fait des miettes que les gens oublient peu à peu. Tant mieux. Parce qu’on me laisse ignorer tout ça, que l’on ne cherche pas à me le rappeler, et qu’à force il n’y a plus personne qui a envie de me secouer, de me faire réagir. Je ne veux pas qu’il y ait quelqu’un qui le fasse, jamais. Parce qu’il ou elle échouera forcément. Parce qu’ils échouent tous. Toujours.
Je n’arrête pas de penser à des phrases qui commencent par : "Quand je partirai...". Mais je me sens déjà si loin ! Ce ne sera pas vraiment un départ, ce ne sera que la suite logique de cet éloignement, de ce détachement de l’âme, d’un abandon.
On discutait ma mère et moi, tout à l’heure, dans un petit café. Elle parlait et me donnait des conseils, me disait qu’il fallait penser à telle ou telle chose pour préparer mon futur voyage. Oui, parce que finalement, je lui ai plus ou moins expliquer mes plans. En fait, c’est une absence de plan qui me caractérise, mais il fallait bien concocter ce fameux mensonge rassurant à lancer en bouclier face à cet amour maternelle presque étouffant… Donc j’ai menti. Encore. Et elle m’a cru. Encore. Dans ses mots, je sentais comme une sorte de supplique : "ne pars pas". Cependant, j’ai fait comme si je ne comprenais pas cette supplique silencieusement insinuée. Et je ne pensais qu’une chose : "N’essaye pas de me retenir. N’essaye même pas. Rien ni personne ne le peut, je le sais ; moi-même, j’ai essayé et j’ai échoué." Comme souvent, je ne répondais rien parce que je connais le pouvoir des mots tout autant que leur absence de pouvoir ; s’ils peuvent être de vrais poignards, les mots qui sortent de ma bouche sont la plupart du temps comparables à des fantômes que l’on ignore et que l’on relègue avec dédain à un autre univers.
Je n’ai aucun but, aucune utilité. Alors pourquoi ne pas me laisser porter par ces petites poussées d’instinct, par ces virulents désirs qui s’éteignent presque aussi vite qu’ils naissent, par ce qui me traverse et me mène quelque part - peu importe où ; de toute façon, je ne connais jamais vraiment la destination -, par tout ce que l’on ne peut contrôler et par tout ce que je me refuse à essayer de contrôler ?