Portes ouvertes et portes fermées

Une chanson dans ma tête

"Si tu fermes les yeux, peut-être qu’ils vont disparaître. Si tu fermes les yeux, est-ce que le ciel va renaître ? Yeux fermés, le monde peut s’oublier. Yeux fermés, tu peux t’en aller..."

On touche le fond, voilà que je fais des petites chansons avec mes pensées de déprime. W est partie. Je suis heureuse pour elle, enfin je le suis un peu. Juste un peu. Le reste de mon être hurle sa colère d’être abandonné à nouveau. W est une des seules amies que j’ai encore. En fait, je crois même que c’était la dernière. Les autres sont plus des connaissances distantes, des gens avec qui passer le temps. Des gens avec lesquels je peux m’oublier moi-même quand j’en ai besoin, quand tout est trop fort et que j’ai ce besoin d’évasion. J’ai une chanson dans ma tête et c’est celle de la folie. Comment qualifier autrement cette impression d’être toujours à l’écart, de ne pas réussir à comprendre ce qu’on fait de bien ou de mal ni même pourquoi on le fait, cette peur de ne jamais connaître autre chose que cet état de séparation, de coupure entre soi et le monde, ces réflexions qui n’en finissent jamais, le sentiment d’être à la fois dans l’univers et en dehors de l’univers, toujours dans l’impossibilité de situer les choses ou de croire en quelque chose de logique et de simple puisque ma vie n’a été ni logique ni simple ?

J’ai lu beaucoup de livres sur la folie. Même en les lisant, rien n’est plus clair. En moi il y a celle qui comprend certaines choses, celle qui croit comprendre tout et qui s’amuse à le prétendre, celle qui a l’humilité de se dire que certaines choses resteront forcément obscures mais qui a envie de se battre pour les comprendre quand même, et celle qui ne comprend tout simplement rien parce qu’elle comprend tout de travers…

A un moment on a eu une discussion assez intéressante, ma mère et moi. Elle disait que souvent, elle se sentait capable de capter quand les gens n’allaient pas bien, de dire s’ils souffraient plutôt à cause de la tristesse, de la colère, ou s’ils ne souffraient pas et étaient relativement heureux, juste en les observant dans une rue ou dans un bus. Je me souviens avoir beaucoup rit intérieurement lorsqu’elle m’avait dit ça. Si elle pouvait vraiment ressentir ça, il y a longtemps qu’elle aurait percer à jour ma façade, ma comédie, le rôle de la fille heureuse que j’ai joué des tonnes et des tonnes de fois. Pourquoi n’existe-t-il personne avec qui je puisse être sur la même longueur d’ondes ? Pourquoi je n’ai pas eu comme tant d’autres ces moments de connivence qui rapprochent les personnes, qui créent des amitiés - de vraies amitiés, pas celles que j’ai eu et qui n’en sont que de pâles reflets - , des couples, des relations qui partent dans tous les sens et qui ont comme leur propre vie tant elles sont importantes pour ceux qui les vivent ? Je suis comme tout le monde et pourtant je ne suis pas comme tout le monde. Je ne suis ni complètement intégrée au circuit ni complètement ailleurs, sur une voie fantôme. Alors… où suis-je ? Où puis-je me situer ? "Yeux fermés, tu peux t’en aller..."