Des mots sans pouvoir
"Le sommeil ne vient pas. Pas de sommeil, pas de repos. Jamais. Les démons ne connaissent jamais de repos, alors pourquoi lui pourrait-il connaître cette paix inaccessible ? Et pourtant, ce qui nous manque le plus ne peut être que quelque chose que l’on a déjà connu ; c’est ce que l’on dit. Mais qui a dit ça ? Il s’en moque. La seule chose qu’il veut, c’est dormir. D’un vrai sommeil, de cet abandon au monde des rêves qui permet de se déconnecter de son corps et de ces pensées parasites tournant en boucle tel un vieux vinyle qu’un dieu malveillant s’amuserait à repasser sans cesse avec, au coin des lèvres, un sourire sans joie.
Comment ce qu’il n’a pas connu peut-il bien lui manquer autant ? Le faire presque pleurer sans qu’il puisse savoir mettre de véritable mot sur sa souffrance, sur ce poids qui a un impact considérable et une force colossale mais qui est aussi invisible qu’un fantôme. Un démon, un fantôme, est-il l’un des deux ou bien les deux à la fois ? Il s’en moque. Il sourit, de ce sourire du dieu malveillant, il sourit et rit de lui, de sa faiblesse et du couple étrange que cette dernière forme avec sa forte volonté qui le tient éveillé malgré lui.
Il regarde la nuit, le ciel sombre et la lune étincelante par sa fenêtre. Il n’a fermé les volets que d’un seul côté. Une face dans l’ombre et l’autre dans la lumière artificielle de sa chambre ; une lueur bleutée à cause de l’abat-jour de la lampe de chevet. Il voit la nuit et le reflet de son visage sur la vitre. Des yeux le fixent, sombres, vides ; il a l’impression que la nuit est entrée dans ses yeux, possède ses yeux et le possède lui aussi tout entier, qu’il fait partie de la nuit pour toujours et que c’est pour cela qu’il ne peut pas dormir. La lune est pleine. Mais pleine de quoi ? Peut-être que s’il réfléchit à ce qui complète la lune, à ce qui la rend si lumineuse, si attirante, il trouvera une réponse avant le lever du soleil et l’arrivée du jour. Ou peut-être qu’il s’endormira enfin, sans jamais trouver de réponse."