Tout s'est inversé
Le monde paraît encore plus étrange que d’ordinaire, un lendemain de soirée. Peut-être parce que quand on sort, qu’on boit, qu’on danse, on arrive à oublier le monde et que le lendemain on se rend compte qu’il est toujours là. Que rien n’a bougé ni changé pendant notre "absence".
Hier, j’ai parlé avec Mi et A. Mes nouveaux amis, si on peut dire. Je crois que ça fait deux mois qu’on se connaît maintenant. La fille réservée qui préfère écouter les autres parler, ce n’est pas mon rôle. Pourtant, c’est exactement ce que j’étais, hier soir. Mi n’a pas arrêter de me parler d’elle, de choses que je n’aurais peut-être pas voulu savoir, de choses dont elle n’aurait jamais dû parler. Selon moi, elle aurait dû garder ça pour elle-même. On a tous nos secrets, alors qu’est-ce qui l’empêche d’en avoir aussi ? Et qu’est-ce qui l’empêche de se soucier d’elle, de temps en temps, de ne pas sans cesse se concentrer sur les problèmes des autres ? Parce que je ne suis pas comme les autres. Je ne mérite pas le bonheur. Et ce qui compte, c’est que les autres soient heureux. Voilà ce qu’elle m’a dit, ses yeux comme bloqués en face des miens.
Tout s’est inversé. Ces mots, ces phrases, ce ton de voix résigné, c’était à moi. C’était ma façon de penser d’il y a quatre mois. Et maintenant, ce sont ceux de Mi. De celle que je croyais pourtant si fière, si forte, quand je l’avais rencontrée. Inversion des rôles. Ce n’est plus moi qui m’auto-critique sans même en avoir conscience. J’en ai conscience, désormais, et je travaille là-dessus. Mais… Mi est encore plus en danger que je ne l’étais. La question c’est : suis-je capable de produire ce petit déclic, cette minuscule prise de conscience si essentielle, cette étincelle d’espoir ? Dès que Mi a commencé à se confier à moi, je me le suis demandé. Et il y a une seconde question qui résonne dans ma tête. Pourquoi moi ?
Tout s’est inversé… le monde n’est donc pas si figé, finalement. Plus j’évolue de mon côté, plus je me rends compte que le monde autour de moi a sa propre vie, sa propre force. Et c’est merveilleux, de se dire que nos actes n’ont pas tant d’impact que ce que l’on imaginait, et du coup de pouvoir, le temps de quelques minutes, redevenir une gamine. A croire que j’avais oublié ça. Oui, je l’avais oublié, j’étais trop fixée sur moi-même. J’étais comme Mi. Je me sacrifiais pour le monde, parce que je croyais que c’était la seule manière de changer les choses.