Portes ouvertes et portes fermées

"Je sais."

Je me demande combien de fois j’ai prononcé cette phrase. Ce simple "je sais" a été une de mes réponses les plus courantes, cela en devenait même lassant. Alors maintenant je me contente de laisser passer un long silence qui peut signifier tout et n’importe quoi.
Parfois, il y avait des choses que je savais mais que je n’avais pas vraiment comprises. Un phénomène étrange qu’on pourrait relier à de la prémonition ; des pensées brusques n’ayant aucune logique, des rêves particulièrement bouleversants, ou encore des situations qui m’interpellent sans que je sache exactement pourquoi. Je vivais tout ça sans comprendre, et même maintenant que je comprends mieux, je ne peux souvent que me rendre compte trop tard de l’avertissement caché dans telle pensée ou dans tel rêve.
Si on me demandait aujourd’hui "est-ce que tu te doutais que tes amis pouvaient te trahir de cette façon, te laisser tomber ?" je répondrais certainement "je le savais". Parce qu’au fond, oui, je le savais. Je sais beaucoup de choses. Je n’apprécie guère de savoir tout cela. C’est si douloureux de se rendre compte de tout ce que je sais…
La première fois que j’ai fumé de l’herbe, c’était avec G. Elle et moi, on s’était trouvé un coin sympa, et on fumait, assises sur un banc, dans la fraîcheur d’un soir d’automne. On était bien, toutes les deux. Mais contrairement à elle, je vivais encore chez ma mère donc il fallait que je rentre au bout d’un moment. Je n’eu même pas eu le temps de le lui dire ; G avait commencé à discuter avec deux gars qui passaient et qui voulaient visiblement nous draguer. Et elle s’était ensuite éloigné avec un des deux, me laissant seule avec l’autre. J’attendis, je continuai à discuter, je faisais comprendre au mec qu’il ne m’intéressait pas. G ne revint pas. Je dû rentrer seule chez moi. Sauf que je ne savais pas exactement quel chemin prendre, que je me perdais dans les rues. Ce jour-là, je me suis sentie lâchée par une amie et je n’ai vraiment pas apprécié cette sensation. Mais ce n’est que maintenant que je comprends : G m’a abandonné une fois, une seule, et cette fois-là était un avertissement, un signe précurseur de l’abandon ultime qui a détruit notre amitié. Et ce schéma se remarque aussi chez les autres… Lu, No, C, ils m’ont tous fait le même coup. Et le même jour, en plus. Comment ai-je pu me voiler la face au point de ne pas comprendre que je savais ?
Comme je le disais, je déteste savoir les choses. Ce fameux "je sais" est une sorte de parole maudite que je n’ose plus trop prononcer, désormais. Savoir ne sert à rien. Hormis à ressentir encore davantage de souffrance.