Dans la peau d'une invisible
Pas juste discrète. Invisible. La personne qu’on ne remarque pas, qu’on ne peut pas remarquer. Un visage anodin de par son expression neutre, un corps en mouvement mais qu’on ne voit pas bouger parce que d’autres mouvements captent l’attention. On ne peut pas remarquer ces personnes sauf si on se focalise sur elles. Si on tente de se concentrer, de les voir, on peut y arriver. Mais ça ne marche pas avec toutes. Certaines personnes ont décidé de disparaître et celles-là, c’est presque comme si elles avaient disparu pour de bon.
Jouer à l’invisible, c’est devenu l’un de mes jeux préférés. Avant, ce n’était pas un jeu mais mon mode de vie. Cela me permettait de réfléchir en paix, de n’être jamais dérangée par quelqu’un. Maintenant, j’en joue. Comme de toutes mes souffrances.
C’est facile, de jouer à l’invisible. Il suffit de penser comme un caméléon. Imiter les autres. Ne rien faire qui puisse permettre à quelqu’un de nous distinguer du reste du monde. Il suffit de jouer à la fille normale. Cela veut-il dire que la plupart du temps, je ne suis pas normale ? Oui. Je ne veux pas l’être ; y jouer c’est drôle, mais juste pendant quelques heures, sinon c’est l’enfer de l’ennui qui revient à grands renforts d’habitudes encore plus soporifiques que le dernier cachet que j’ai essayé de me prendre pour dormir le mois dernier quand toute idée de sommeil avait déserté mon esprit (d’ailleurs, j’en profite pour noter : cachets pour dormir et vitamine C = nocifs sur ma personne).
Plusieurs fois, et de la bouche de plusieurs personnes, j’ai entendu ce fameux conseil : "Tu devrais faire du théâtre". Je n’en ai jamais fait. Pas besoin. La vie est une pièce de théâtre à elle toute seule. Ma daronne est une sorte de Aristote réincarné. Mon petit frère N ce serait plutôt un Hercule du cerveau. Je verrai bien Lu comme un double de Phèdre. C’est n’importe quoi, hein ? Je ris devant mon ordinateur en imaginant une pièce de théâtre avec comme personnages Hercule, Aristote et Phèdre. C’est drôle, l’anormalité.