Portes ouvertes et portes fermées

"Don't say anything, don't feel anything."

Fatigue extrême. J’ai plein de trucs à ranger mais je ne fais rien. Quoi je dois vraiment ranger tout ça, vous êtes sûr ? Bon, si vous le dites… je le ferai demain alors. Ou après-demain. Ou plutôt dans une semaine parce que cette semaine-là m’a épuisée. Si je pense comme ça, je ferai jamais les choses ? N’importe quoi. Et puis, au pire, si c’est vrai, c’est pas si grave, hein ? C’est pas comme si j’en avais quelque chose à faire de tous ces objets. Le chat en bois sur mon bureau, par exemple, je le poserai sur le bord d’une fenêtre d’un immeuble quelque part, dans une rue quelconque, et celui ou celle qui le trouvera l’emportera où il ou elle voudra.

La dernière fois que j’ai bu un coup de trop, je me suis souvenue de cette phrase. "Don’t say anything, don’t feel anything." Je l’ai entendue dans un film ou une série, je sais plus. C’est marrant de constater que c’est souvent quand je bois que je me rappelle des choses. En général, plus on picole et moins on a de mémoire, non ? Moi je sais pas trop ; entre les petits jeux de mémorisation auxquels je joue lorsque je m’ennuie et les soirées où je bois sans compter les verres, c’est un combat entre le souvenir et l’oubli.
Parfois j’ai l’impression d’y arriver. D’avoir réussi à ne plus rien ressentir. Et puis vient la douleur. Cette pression qui surgit dans ma poitrine et qui me donne presque la nausée, qui me donne envie de pleurer et de hurler. Des phrases comme "Mais pourquoi t’as fait ça ? C’était idiot et toi, tu l’as fait quand même", "Tu sais ce qu’ils voient quand ils te regardent ? Une nana paumée. Tu te traîne avec des cernes et des yeux vides qui leurs font peur… que veux-tu qu’ils pensent d’autre ?" me viennent en tête et la torture commence. Ensuite, vient la colère. Le fameux "je me fiche de ce qu’ils pensent de moi, et je m’en fiche de faire des trucs stupides ou non. Allez voir chez le diable si j’y suis, putain." Et après vient l’amertume. Le sourire sinistre et le regard sombre. Et enfin revient l’indifférence. Ce que je considère comme mes instants de paix. Ces instants durant lesquels tout glisse sur moi sans que cela ne m’atteigne vraiment. Je flotte loin de tout ça, j’entends sans entendre, je vois sans voir, je parle sans parler, je pense sans penser.

Faut que je le fasse, ce rangement. Mécaniquement, vite fait, sans rien analyser. Un objet qui ne sert à rien, je jette. Un objet qui a un lien avec un souvenir de mon passé douloureux, je jette. Un objet que je ne veux plus mais qui peut encore servir à quelqu’un, je le donne. Voilà, je dois faire ça. Pas d’analyse, de mots, de sentimentalisme. Je ne veux plus parler pour dire des banalités, je ne voudrais même plus parler du tout. Plus de paroles, plus d’émotions ni de sentiments. Je voudrais qu’on en soit déjà à fusionner les humains et les ordinateurs ; je pourrais me mettre en veille pour un temps indéfini, ne plus rien vivre de futile, juste dormir en paix, et attendre le jour où on aura besoin de moi et qu’on me réveillera.