Le point de non-retour
L’ai-je déjà atteint ? Existe-t-il seulement ? Je ne sais pas ; on dirait que ma déchéance est sans fin, sans fond, que plus je trouve quelque chose d’horrible à accomplir et plus il me vient d’idées encore plus horribles que cette dernière.
Mev, D, et tous les autres ne sont que des distractions… mais parfois j’aimerais qu’ils soient davantage. Parfois, oui, me revient quelque minuscule parcelle mourante au plus profond de moi qui hurle à l’espoir. Ce maudit espoir, ce sentiment qui maintient en vie tout autant qu’il peut accélérer le temps de la mort.
Chaque jour, à chaque heure, je plonge un peu plus. Je ne dis jamais rien de ce qui m’anime et de ce qui me torture. Il m’arrive de penser qu’il faudrait peut-être que j’en parle à quelqu’un. Mais à qui ? Personne ne peut supporter d’entendre une personne crier encore et encore que son seul et unique souhait est de ne plus jamais espérer quoique ce soit…
Les objets qui m’entourent me rappellent combien ce que je possède est inutile. L’argent - le peu dont dispose une étudiante fauchée -, une chambre dans une colocation, le téléphone, l’ordinateur, la tasse de thé, les stylos et les crayons, les livres, les cahiers, les vêtements et les chaussures… la liste me pèse beaucoup car de tous ces objets, il n’y en a pas un que j’emporterais avec moi sur une île déserte. Or, c’est peut-être là que je finirais par me rendre, sur une île perdue quelque part. Sûrement pas déserte, puisque rares sont les lieux vides de présence humaine. Et puis je ne voudrais pas non plus ne plus croiser d’humain ; j’apprécie trop de jouer les voyeurs pour cela. Cependant, je me sens le cœur à errer et à marcher comme je rêve : tout observer, tout absorber, et tout laisser venir et repartir sans en éprouver ni joie ni peine, simplement l’étonnement fugace que donne le frisson de l’inconnu, sel de la vie.
Le point de non-retour, est-ce lorsque l’envie de mourir finit par gagner ? Une de mes amies à l’époque du lycée avait eu envie d’en finir. Et elle avait réussi… Je m’interroge toujours ; pensait-elle qu’en se suicidant elle trouverait mieux ? Que mourir l’emmènerait loin de cette absence de ressenti, de ce vide angoissant qui la possédait ? Je n’ai pour ma part jamais pu me convaincre que mourir pourrait remplacer ce vide. Toujours coincée entre deux eaux, hein…