Faire passer le temps est un art
Ecrire. Lire. Dessiner. Préparer à manger et puis manger, justement - trop ou pas assez, c’est selon un rythme anarchique que je n’ai jamais réussi à comprendre, de toute façon. Dormir. Jouer à des jeux en lignes. Enchaîner les réussites, me faire des parties de poker en imaginant un adversaire qui n’est pas là. Mettre de la musique et danser. Pas chanter ; j’aime pas tellement ma voix quand je chante. J’ai développé tellement de techniques dans le seul but de faire passer le temps, d’arrêter de scruter le réveil ou bien ma montre ou encore l’écran de mon portable, de ne plus voir défiler ces minutes et ces heures en me rappelant combien ce que je fais et ce que je vis est dénué de sens…
Tout va changer. Quand je serai partie, que je serai loin de mon petit confort, de cette habitude d’avoir les choses à portée de main, facilement accessibles, je serai forcée de changer. Ou de me laisser complètement aller et de mourir. En fait, je ne pourrai plus rester inactive, je devrai faire un choix ; ou plutôt mon inconscient ou je ne sais quelle partie de mon âme ou de mon cerveau fera ce choix.
J’ai l’habitude de dire en riant, après quelques verres, que faire passer le temps est un art et que j’y excelle. Ensuite, je rajoute une phrase pleine de prétention du style "et ce n’est qu’un des nombreux domaines dans lesquels je suis excellente", le tout en continuant de rire pour qu’on comprenne que je n’ai pas un ego aussi gros pour croire vraiment à ce que je viens de dire. L’art est un bon moyen de me définir ; quelque chose de complexe et de torturé. Et même complètement bourrée, je finis par placer un mot sur l’art - effet garanti pour passer encore plus pour une barge. Une fois j’avais raconté un de mes rêves dans lequel je faisais une sculpture et je m’étais mise à décrire avec une telle fascination ma façon de percevoir cet art - je crois me souvenir que je tentais de reproduire avec mes mains les gestes que je faisais dans mon rêve - que toutes les personnes autour de moi n’en pouvaient plus de rire. On parlait encore de ça le lendemain : le seul souvenir qu’ils avaient de moi ce n’était pas mon prénom mais "la fille qui fait des rêves trop bizarres".
Parfois, j’aimerais être réellement une artiste. Avoir une passion, m’y atteler, apprendre, découvrir, développer mes talents, et vivre grâce à ça, à ce soutient quasi magique. Mais non. Je n’ai pas de passion. Et encore moins de talent. Même faire passer le temps, je n’y arrive plus correctement.